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Roman : Edward Abbey, Le Gang de la clé à molette

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  Anarchistes, écologistes de la première heure, partisans de la manière forte, Doc Sarvis, son adorable nymphette Abbzug, Hayduke (un ancien du Vietnam) et Smith se sont prêts à tout pour rendre à la nature toutes ses prérogatives. Ça commence gentiment par la destruction de pancartes publicitaires qui jalonnent le désert du Nouveau Mexique, brûlées ou dézinguées parce que défigurant le paysage. Puis les destructions se portent sur les grands axes routiers : un pont dont les piliers sont sabotés, un train que l’on fait dérailler avant de s’attaquer à un immense barrage formant un lac artificiel. Rendre le Missouri à son cours originel, tel est le but ultime des troublions tellement fêlés qu’ils en deviennent attachants. Si les descriptions méthodiques et souvent drôlatiques des destructions sont jubilatoires, les poursuites qui s’en suivent le sont plus encore, au risque de rendre les péripéties parfois peu crédibles. Miraculeusement (mais surtout grâce aux ruses du vétéran...

Roman graphique : Monsieur Chouette, David B (l’Association)

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  Le cas David B est une aberration. Au même titre qu’un Kundera ou un Philip Roth, disparus sans jamais avoir été prix Nobel, il est impensable que l’œuvre de l’auteur de l’Ascension du Haut-mal n’ait encore été récompensée d’un grand prix d’Angoulême. Que David B soit l’un des plus grands auteurs de notre temps, il suffit de lire ce Monsieur Chouette pour s’en convaincre. Marie est une jeune fille errante qui a peur de son ombre. Elle exprime son mal être à Monsieur Chouette, qu’elle rencontre une nuit dans les rues désertes de Paris. Elle a peur de tout, se voit devenir mendiante et oubliée de tous. Monsieur Chouette est un «psychopompe», c'est-à-dire que tel Virgile aux Enfers, il sert de guide à ceux qui passent de vie à trépas. Marie va le suivre docilement dans le monde des Morts. On lui taille un costume qui la rend invisible aux yeux de Cerbère, le cruel chien à trois têtes, intraitable avec d’éventuels vivants égarés au royaume des morts. Tous les soirs, un nouvel arr...

Collectif : Le pays blanc (Livre de poche)

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  « Peut-être que ce talent de conteur que nous avons en partage est une malédiction », écrit Joy Majdalani dans le dernier des récits qui composent ce recueil. Le « pays blanc », c’est le Liban, avec son histoire complexe et ses « innombrables combats » que tente vainement de résumer Amin Maalouf : « entre Russes et Américains, entre Israéliens et Palestiniens, entre Syriens et Palestiniens, entre Syriens et Israéliens, entre Irakiens et Syriens, entre Iraniens et Saoudiens, entre Iraniens et Israéliens, la liste est longue ». Sans compter les appuis des factions locales qui rendent, pour un profane occidental, les enjeux quasiment incompréhensibles. Un pays gangrené de l’intérieur, où d’anciens chefs des milices « se sont transformés en politiciens et chefs communautaires » (Frédéric Paulin) et où « 75 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté ». Joy Majdalani résume la situation en évoquant cette...

Bande dessinée : Commis d’office, Benjamin Taïeb, Tomek Heydinger (Les Enfants rouges)

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  La couverture de ce livre dense est explicite : le narrateur-héros sort à la hâte du Palais de Justice, sac en bandoulière, sa robe d’avocat à moitié enfilée sur un tee-shirt à l’effigie d’un Mickey surmontant l’inscription « hope ». De l’espoir, il en faut effectivement pour faire ce métier exigeant physiquement et mentalement. C’est cette vie de commis d’office -cet avocat du pauvre que, dans l’urgence, on attribue à un justiciable- que nous raconte Benjamin Taïeb d’une plume alerte et objective. Le récit propose un va et vient entre les affaires judiciaires et la vie privée du narrateur, une ado à gérer à la maison, les footings indispensables à la décompression, les courtes phases de sommeil interrompues par les coups de fil des coordonnateurs pour les audiences nocturnes, les rencontres amoureuses : le récit tisse habilement tous les fils d’une vie vouée à la défense des malfrats et des démunis. Elle est d’une diversité étonnante, cette humanité jugée...

Essai : Toutes les époques sont dégueulasses, Laure Murat (Verdier)

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  On avait dévoré son essai sur Proust (roman familial) pas seulement pour ce qu’on y apprenait sur l’auteur de la Recherche mais aussi parce que, chose devenue rare chez les auteurs contemporains, le style y relève visiblement d’une gageure, d’une exigence tendue avec toutefois cette impression de fluidité qui est la marque des grands ouvrages classiques. On retrouve la même plume alerte, plus corrosive cependant, dans ce petit ouvrage pamphlétaire portant sur les ré(é)critures. Pourquoi ce besoin contemporain de revisiter les chefs d’œuvres de la littérature ? Censure wokiste, moraline, travail élagueur des « sensitivity readers » qui conduisent à une « pasteurisation des livres », la censure moderne porte tous les masques. Laure Murat relève tout d’abord deux formes d’altération littéraire : la « réécriture » consiste à s’inspirer d’une œuvre connue pour proposer un nouveau récit (Joyce et Ulysse par exemple). C’est la « récriture...

Lettres d’un péruvienne (roman épistolaire), Françoise de Graffigny

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  Voilà à première vue une pâle copie des Lettres persanes. Que le roman épistolaire de Montesquieu soit un chef-d’œuvre d’esprit et de style, il suffit d’en lire la préface pour s’en convaincre. On se dit alors que la féminisation des programmes scolaires (l’œuvre de Mme de Graffigny est au programme du bac en 1 res ) oblige à quelques concessions : à imposer à tout prix des auteures non pour la qualité de leur œuvre mais parce qu’elles sont simplement des femmes, on risque de tirer la littérature vers le bas. Et pourtant, voilà une fameuse découverte que ces Lettres d’une péruvienne, publiées par Françoise de Graffigny en plein siècle des Lumières. Zilia, une jeune inca de noble extraction, a été enlevée au Pérou par les Espagnols. Délivrée ensuite par l’officier Déterville, elle découvre la société française du 18 e siècle avec ce regard « persan » qui permet l’analyse froide et objective des mœurs. Les lettres écrites par Zilia sont adressées à Aza, son futur ...

Roman : Alice RIVAZ, La Paix des ruches (Zoé)

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  La couverture nous en dit long sur la teneur du roman : un couple assis sur un canapé, elle vêtue d’un pull rouge en aplat, jupe et talons aiguilles, main sur la nuque courbée, posture à la fois de soumission et d’isolement. Elle tourne le dos à son homme, lui confortablement assis, cigarette à la main. Si on ne voit pas leurs visages, c’est que ce couple incarne le destin commun à tous les couples selon Alice Rivaz. Le naufrage amoureux est universel. Écrit à la fin des années trente, La paix des ruches est un ouvrage pleinement féministe qui va chercher les causes d’une révolte dans les failles du quotidien. La charge est violente : les hommes en prennent pour leur grade, séducteurs infaillibles dans les prémices amoureux puis, seigneurs impérieux et tyranniques dans la vie maritale. « C’est que nous étions des amoureuses, et qu’ils ont fait de nous des ménagères, des cuisinières… Voilà ce q ue nous avons peine à leur pardonner » (p. 80). La narratrice...

Roman graphique : On ne la ferme pas, Benoît Jahan, ed. FLBLB

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  C’est l’histoire d’une colère. L’auteur-narrateur apprend en mai 2014 la fermeture de l’école municipale de son village (Le Pradet, dans le Var). Celle-là même où il a été scolarisé. Autant dire un lieu historique où chaque habitant a ses souvenirs. Dès lors la colère va se muer en combat. C’est avec ses armes de dessinateur que Benoît Jahan va interpeller le maire. Il faut dire que début 2015, les attentats de Charlie ont tristement montré que le dessin pouvait être tragiquement efficace. Et les coups de crayon vont toucher là où ça fait mal, dénonçant une gestion déplorable de la municipalité, avec des décisions catastrophiques et des édiles déficients. L’auteur-dessinateur va s’engager politiquement dans un parti d’opposition où son talent sera mis à contribution, notamment par la création de supports graphiques divers comme des bulletins illustrés ou des cartes postales dénonciatrices. Il va alors être personnellement inquiété jusque dans son métier d’enseignant ou par de ba...

Essai : Je suis une fille sans histoire, Alice Zeniter (l'Arche)

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Ce livre est une arnaque. Une brillante arnaque, mais une arnaque. L’autrice se propose d’expliquer comment les récits littéraires se sont constitués sans les femmes (d’où le titre). Mais rapidement, le livre tourne à une leçon de narratologie, où après nous avoir expliqué pourquoi le lecteur éprouve de l'empathie pour Anna Karénine, on nous expose le rôle de la métalepse, cette césure du pacte fictionnel, du triangle sémiotique (signifiant/signifié et référent), du schéma narratif ou actanciel, bref une leçon de fac de Lettres héritée des recherches structuralistes (Barthes, Genette, Eco et compagnie). On se demande donc où sont les femmes promises ? É vaporées en cours de route au bénéfice de la leçon de narratologie. Donc une fille sans histoire et, tout d’un coup, une histoire sans filles. On apprécie néanmoins le sens didactique et l’humour d’Alice Zeniter qui sait s’impliquer dans ses démonstrations : souvent drôles, les explications sont aussi pertinentes et donnent une...

Dictionnaire : Éric Fottorino, Dictionnaire amoureux du vélo (Plon)

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  C’est d’un œil connaisseur et passionné qu’ É ric Fottorino concocte son Dictionnaire amoureux du « vélo », et non du cyclisme : toute la nuance affective est là, dans cet amour du vélo et non seulement de la compétition cycliste. Car Fottorino n’est pas uniquement croyant, il est pratiquant, depuis très longtemps, et sa culture cycliste, forgée dans les glorieuses années soixante-dix, raviront les nostalgiques des arrache-clous, des freins Mafac à tirage central, des tubes Reynolds, des dérailleurs Simplex et de la colle Pastali. Voilà un livre d’où émane l’authentique parfum de l’embrocation, le chuintement des boyaux et le goût du XL1, cette poudre de perlimpinpin saturée en sucre qui donnait l’illusion de pédaler un peu plus vite. Les entrées proposent l’incontournable lexique du vélo, l’objectivation d’un sport avec ses heures de gloire et ses héros, tant sur le terrain qu’en périphérie. Outre les champions, Fottorino n’oublie pas les journalistes géniaux (B...

Roman : Les Enfants de la crique, Rémi Baille (ed. Le bruit du monde)

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  Nine, jeune fille de dix-huit ans, vit dans une crique, une de ces enclaves maritimes que l’on trouve dans les calanques entre Marseille et Cassis ou près de Toulon, avec son lot de cabanons aménagés, écrasés par un été torride. Nine se rapproche de Coco, un autre enfant de la crique, puis s’enfuit, sans raison apparente. Entre-temps un incendie met tout ce monde en émoi. Panique des touristes, résistance de la Douane (qui désigne étrangement un couple de femmes tellement unies qu’elles ne font qu’une). Finalement, avec l’aide des pompiers et de Coco, le feu est maîtrisé. Nine en profite pour rentrer de son petit périple. Mais à son retour, on l’accuse d’être à l’origine de l’incendie. Les esprits s’échauffent, on la diabolise. Même Coco ne sait que trop penser. Puis Nine est innocentée grâce à une pièce à conviction : une carte postale qu’elle avait envoyée lors de sa fugue, attestant qu’elle ne pouvait être à la fois à l’autre bout de la Côte et dans la crique en train d’...

Essai : Eddy Merckx , Jean Cléder (Mareuil éditions, 2019)

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  On pourrait trouver ce nouveau livre sur le champion cycliste belge superfétatoire dans la masse des hagiographies relatant les exploits de celui qui reste considéré comme le plus grand champion de tous les temps (on fera le bilan de Pogačar à la fin de sa carrière). Le sous-titre nous met cependant sur la voie : « analyse d’une légende ». C’est en effet à travers le prisme sociologique et iconographique que l’auteur va notamment étudier le parcours du « Cannibale ». Cinq Tours de France, autant de Tours d’Italie, sept Milan-San Remo, trois Championnats du monde cinq Liège-Bastogne-Liège, à vrai dire on va plus vite à énoncer ce qu’il n’a pas gagné que l’inverse… Jean Cléder revient sur les premiers coups de pédale d’Eddy dans le peloton professionnel pour le suivre dans son fulgurant épanouissement jusqu’à la maturité et le fléchissement final, en 1978. Tout est analysé de près : le maniaque de la position à vélo, les concurrents (de l’intronis...

Roman : Lolita, Vladimir Nabokov

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  L olita est doté du pouvoir aphasique des chefs-d’œuvre. De ceux qui laissent sans voix tant leur souffle a cette capacité de brûler les steppes de l’esprit, de véritables forêts calcinées où, de mémoire de lecteur, on ne s’est jusqu’ici jamais aventuré. Pour aimer Lolita , sans doute faut-il être soi-même « un artiste doublé d’un fou, un de ces êtres infiniment mélancoliques, aux reins ruisselants d’un poison subtil » (p. 28), à l’instar de Humbert Humbert, narrateur de cette épopée érotique et déjantée. Humbert se définit d’emblée comme « nympholepte », un de ces hommes d’âge déjà mûr qui tombe amoureux d’une « nymphette », de ces jeunes filles impubères dotées de « cette grâce trouble, ce charme élusif et changeant, insidieux, bouleversant » (p. 27). Humbert Humbert n’hésite pas à épouser Charlotte, la mère de Lolita, pour vivre au plus proche de la fille, qui n’a que douze ans au début du roman, quitte à s’en débarrasser au plus tôt....

Récit : Le Lambeau, Philippe Lançon (Gallimard)

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« J’ai senti que si je revenais bientôt vivre ici, ce serait bref, car je commencerais par me jeter par la fenêtre » (p.476). Quelques mois après le massacre de Charlie qui lui a coûté une partie du visage, en pleine reconstruction, Philippe Lançon évoque son retour chez lui. Si la longue hospitalisation avec ses opérations successives est un douloureux chemin de croix, la route vers la sortie, après un passage rééducatif aux Invalides, n’en est pas moins périlleux. Croiser un Arabe dans le métro, revenir dans les parages de l’attentat, tout peut réactiver le trauma. Mais avant cette phase libératrice, il y a le long processus du rafistolage physique et mental. À commencer par la création de ce « lambeau », un implant du péroné dans l’os de la mâchoire que les balles des terroristes ont fait voler en éclats. La description est minutieuse, parfois à la limite du supportable, millimètre après millimètre, avec ses victoires et ses échecs. Dans le contexte médical s’i...

Roman : Miracle à la combe aux Aspics, Ante Tomić

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  Il est des romans sans limites. Aux antipodes des règles édictées par le Nouveau roman (qui étaient en définitive davantage un rejet global du roman psychologique traditionnel), on comprend vite que le récit d’Ante Tomi ć (A. Tomic, quand même!) a pris le parti de n’en prendre aucun et se jette à tout-va dans une suite de péripéties aussi étonnantes que réjouissantes. La famille Aspic vit dans un village reculé au pied d’une montagne depuis des générations. Le père, Jozo, est un fou furieux, catholique intégriste et militariste. Le récit de la mort de la mère donne le ton : « Zora se tut jusqu’à son dernier soupir, où elle jeta un tendre et ultime regard à son époux et murmura : -Tu es une merde ! ». Resté seul avec s ec ses trois fils , Jozo dispose d’un arsenal impressionnant. Que les agents de la compagnie d’électricité ne s’avisent pas à venir réclamer ce qu’on leur doit. Mal inspirés, c’est ce que font pourtant deux d’entre eux, que la famille v...

Roman : Ardéchois cœur fidèle, Jean Cosmos, Jean Chatenet

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Il est des livres dont la réputation repose sur un malentendu. C’est le cas de Ardéchois cœur fidèle, titre qui doit sa notoriété à une série (on disait plutôt feuilleton, à l’époque) diffusée à la télévision en 1974. L’intitulé peut faire croire à un roman régionaliste à la gloire de l’Ardèche et de ses habitants. Il n’en est rien, le département n’était en définitive le théâtre de l’action qu’en début en en fin de livre. Après dix ans passés au service des armées napoléoniennes, Toussaint Rouveyre apprend que son frère, compagnon du Tour de France, a été assassiné lors d’une des nombreuses rixes qui opposent régulièrement les deux branches des Compagnons : ceux du Devoir et les « Dévorants ». L’enquête de Toussaint le mène vers un certain Tourangeau-sans-quartier, une brute épaisse appartenant aux Dévorants. Dès lors, Toussaint n’a qu’un but : s’infiltrer parmi les Compagnons pour retrouver Tourangeau et venger son frère. Et c’est paradoxalement lorsqu’on quitte le...

Création video/performance, Mélanie Joseph, Manon Cappato (CRAC de Sète)

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Le Centre d’Art Contemporain de Sète propose un ensemble d’expositions liées à la problématique du handicap et de la perception des valides face aux déficiences physiques. L’Art étant en soi un lieu de réception, il semble donc naturel qu’un musée donne à voir et à entendre des propositions plastiques autour de cette thématique pourtant trop absente des cimaises. On connaît l’intérêt notamment des Surréalistes pour des œuvres de déficients mentaux, mais cette mise en avant reposait surtout sur le caractère aculturel de ces artistes qui s’ignoraient. Ce que propose le Crac sous le titre de "En dehors" prend une tout autre dimension : ici, les artistes (eux-mêmes handicapés ou pas) vont interpeller notre rapport à l’Art en nous plaçant de l’autre côté du miroir. Un miroir ébréché et coupant : on ne ressort pas indemne de cette exposition qui interroge en profondeur notre rapport à l’altérité. Parmi les exposants, Mélanie Joseph propose une suite de vidéos montrant des sourds...

Biographie : Christophe Bigot : Un autre m’attend ailleurs (La Martinière)

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Qui le croirait en voyant les dernières photographies de Marguerite Yourcenar, flanquée d’un triste gilet et d’un grand foulard qui met plus encore en valeur son visage parcheminé ? La première académicienne a fréquenté sur la fin de sa vie le milieu interlope de la drogue et de l’homosexualité par l’entremise de sa dernière passion amoureuse : Jerry Wilson, jeune photographe de quarante-six ans son cadet. Jerry rencontre Marguerite à Petite Plaisance, ce coin reculé du Maine où la romancière vivait jusqu’ici avec sa traductrice Grace Frick. Mais Grace meurt d’un cancer et Jerry va la remplacer. Mieux : c’est pour Marguerite une renaissance et l’occasion de partir avec Jerry parcourir le monde. Si dans un premier temps l’attrait de la découverte rapproche les deux amants d’un couple si disparate, l’ambiguïté du personnage va vite s’imposer à Marguerite. Jerry Wilson est bipolaire, complexé et parfois violent. Il rencontre Daniel, un autre homosexuel toxicomane, qui va pousser Jerry à...

Roman : Identité, Martine Marck (ed.BoD, 2024)

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Martine Marck est la romancière la plus authentique qui soit. Depuis des années elle a renoncé à ce qui fait habituellement la vie des écrivains : course à l’éditeur, simagrées de la promotion, jeux de l’entregent… L’industrie du livre ne passera pas par elle, ou si peu. Martine Marck n’est mue que par le désir de raconter. Comme Stendhal, elle a fait le choix d’un happy few et s’est débarrassée de toutes les scories du succès. Et pourtant, cet épiphénomène du monde du livre mérite, malgré elle, qu’on la découvre. Identité est le roman des racines. Rachel vient de perdre sa mère, une femme froide et distante pour sa fille et sa fille le lui a bien rendu. Dans les papiers qu’elle découvre, une étrange lettre intrigue Rachel : Simon, un jeune homme né sous X, a retrouvé la trace de sa mère, une donneuse compatible pour une greffe de moelle osseuse. Rachel n’hésite pas et offre sa moelle à Simon dont on apprendra, suite à des investigations génétiques, qu’il est le frère de Rachel. Début...

Roman : Sandrine Colette : Madelaine avant l’aube

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Elle a la rage, la petite Madelaine, lorsqu’elle débarque comme une bête sauvage à la ferme des Montées. Peut-être une de ces enfants conçues dans les viols perpétrés par le fils du seigneur, Ambroisie-le-fils. Dans le hameau vit tout un petit monde de paysans soumis : la vieille Rose, qui connaît les onguents et les plantes, les jumelles Ambre et Aelis, tellement ressemblantes qu’elles finiront par s’échanger, les frères Eugène et Léon, les enfants, des garçons de l’âge de Madelaine, le cheval Jéricho et le chien Bran, dont on reparlera. C’est un monde de servage et de pauvreté où l’on est soumis aux mauvaises saisons et à la cruauté des seigneurs. Travail harassant, froid, sécheresse, pluies, épidémies, accidents et famines à répétition, tel est le quotidien des habitants des Montées. Et la mort qui rôde et frappe avec une impitoyable régularité. Puis il y a cet acte fondateur : armée de sa hache à la ceinture, Madelaine tue un chevreuil. Un meurtre rédhibitoire sur la terre des s...

Mariotti croque l’avenir 

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Depuis qu’elle a créé sa maison d’édition Les Enfants rouges en 2006, Nathalie Meulemans s’est consacrée à la publication de romans graphiques. Le Génie des élèves, d’Olivier Mariotti, échappe cependant à cette classification : pas de séquentialité narrative, pas de fiction. Le dessinateur et professeur d’Arts plastiques propose une suite de portraits d’élèves tracés au feutre noir et à main levée dans le cadre d’une contrainte temporelle (sept minutes environ par croquis) et spatiale (la salle d’Arts plastiques pendant la récré). Chaque portrait, imprimé sur la page de gauche, est accompagné de cinq questions, toujours les mêmes : l’amour, l’école, la mode, l’art et les réseaux sociaux, autant de sujets impliquant les jeunes et auxquels, de la 6e à la terminale (l’artiste-enseignant exerce en collège et en lycée), ils répondent avec une désarmante spontanéité. L’Amour selon Phoebe ? « Inconditionnel et puissant ». L’école, pour Lola ? « C’est le lieu où on grandit au ralenti ». La m...

Enquête impressionniste : Grégoire Bouillier : Le syndrome de l’Orangerie (Flammarion)

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Que faire quand on voit des cadavres partout ? On écrit le Syndrome de l’Orangerie, comme pour exorciser cette obsession du (des) cadavres flottants. On ne connaîtra que dans l’épilogue ce qui a suscité ces visions spectrales en eaux troubles. En contemplant les Nymphéas de Monet, Bmore (avatar romanesque de Grégoire Bouillier) est saisi d’un malaise, en quelque sorte le négatif d’un autre célèbre syndrome, celui de Stendhal, généré cette fois par un excès de Beauté. Fidèle à ses méthodes d’investigation, Bouillier va décliner le sujet jusqu’à épuisement, d’Ophélie à la Chloé de l’Écume des jours en passant par les morts de 14, tous les « noyés » de l’Histoire littéraire (ou pas) sont passés en revue. Mais c’est dans son approche biographique de Monet que l’ouvrage se distingue. Au scalpel, Bmore va interroger chaque péripétie de la vie du peintre (Bouillier est lui-même un ancien peintre, il sait de quoi il parle) susceptible d’éclairer sa révélation morbide. Étage après étage, chaque...

Antoine Mouton,  Au nord tes parents – éditions La Contre-allée – 64 pages, 2024

L’essentiel en poésie n’est pas tant de savoir si les choses sont vraies que si elles nous chantent, ou plutôt nous enchantent. Sont-ils authentiques, les souvenirs du narrateur, cette permanente transhumance vers le Nord à l’arrière de la voiture, l’enfant subissant l’humeur des parents, un père renfrogné écraseur de chats et une mère astrologue condamnée par un cancer ? La question de la forme a vite fait de balayer nos interrogations : peu importe la vérité – Antoine Mouton est-il cet enfant de bohème ? - puisque, dans une langue simple et subtilement ciselée, il nous invite au parcours septentrional et peu importe si tout n’est que fiction puisque la musique qui émane de ce petit livre est authentique. C’est l’histoire d’une entreprise de désenchantement. L’enfant ne demande qu’à s’émerveiller. Il fait le pari qu’existent les anges mais « les anges, c’était interdit » (p. 11). Giflé par le père pour avoir cru qu’il priait Dieu, ignoré dans sa détresse par la mère indifférente. Un ...

Roman : Hervé Bazin, Qui j'ose aimer

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Tout se passe à La Fouve, une ferme délabrée tenue à bout de bras par la servante bretonne Nathalie, à peine moins vieille que la bâtisse elle-même. La Fouve est peuplée de femmes uniquement : on s’y nomme Isabelle de génération en génération. La narratrice en est une, d’Isabelle, une jeune adolescente qui s’éveille aux choses de la nature. Isabelle la rousse découvre qu’elle a un corps et le roman s’ouvre sur une baignade dénudée dans la rivière qui longe la propriété. Isabelle vit avec sa mère, Isabelle aussi, et sa sœur Berthe, une fille demeurée et attachante comment peuvent l’être ces personnages romanesques poétiques et lunaires (voir par ailleurs la critique des Oiseaux de Tarjei Vesaas). Nathalie veille sur ce petit monde avec ses improbables proverbes et sa bigoterie d’un autre temps. Isabelle la mère est divorcée. Le père d’Isabelle la fille et de Berthe vit en Afrique et on ne parle de lui que pour évoquer la pension mensuelle qu’il verse à ses filles jusqu’à leur majorité....