Roman : Identité, Martine Marck (ed.BoD, 2024)
Martine Marck est la romancière la plus authentique qui soit. Depuis des années elle a renoncé à ce qui fait habituellement la vie des écrivains : course à l’éditeur, simagrées de la promotion, jeux de l’entregent… L’industrie du livre ne passera pas par elle, ou si peu. Martine Marck n’est mue que par le désir de raconter. Comme Stendhal, elle a fait le choix d’un happy few et s’est débarrassée de toutes les scories du succès. Et pourtant, cet épiphénomène du monde du livre mérite, malgré elle, qu’on la découvre.
Identité est le roman des racines. Rachel vient de perdre sa mère, une femme froide et distante pour sa fille et sa fille le lui a bien rendu. Dans les papiers qu’elle découvre, une étrange lettre intrigue Rachel : Simon, un jeune homme né sous X, a retrouvé la trace de sa mère, une donneuse compatible pour une greffe de moelle osseuse. Rachel n’hésite pas et offre sa moelle à Simon dont on apprendra, suite à des investigations génétiques, qu’il est le frère de Rachel. Débute alors une étonnante remontée du fleuve originel. Et Rachel et Simon vont découvrir l’impensable… Et si la mère avait eu de bonnes raisons de cacher ses origines à Rachel ? On navigue entre Strasbourg et Nantes, entre les hésitations et les doutes de cette fratrie qui se découvre.
Identité est un roman à deux voix. Chaque chapitre alterne un narrateur, tantôt Rachel tantôt Simon. On ne tombe pas pour autant dans la redondance puisque chaque personnage reprend le récit là où l’autre l’a laissé. On pénètre ainsi dans les consciences des protagonistes et cette focalisation interne alternée nous en dit long sur les errances psychologiques de Rachel et de Simon. Peut-être d’aucuns regretteront la conscience par trop pure de ces personnages eux-mêmes produits (ce n’est pas spoiler que de le dire) d’un inceste. Sans doute ce besoin de pureté est-il même nécessaire pour contrebalancer l’infâme bourbier des origines. Mais Martine Marck a choisi de donner vie à des personnages entiers et dépourvus de méchanceté. S’ils en perdent un peu d’épaisseur romanesque, ils en gagnent en texture philosophique et symbolique. Après tout, un personnage de roman est aussi l’incarnation d’un idéal.
D’emblée, la référence à Camus est explicite « Aujourd’hui maman est morte, ou peut-être hier ». Pour aussitôt remettre en question les sentiments qui reliaient Rachel à sa mère. Mais le véritable « étranger », c’est Simon, étranger à lui-même et aux autres, jusqu’à ce que la découverte de sa sœur ne vienne donner un sens à ce sentiment de solitude : « Je suis étrange, étranger, je ne sais plus qui a dit irremplaçable parce que différent, unique aussi. Mais je ne suis plus seul à être unique, nous sommes deux et c’est une richesse que je peux mesurer » (p.218). C’est précisément ici que s’arrête le parallèle avec Camus. Identité (au singulier) est le roman des retrouvailles, même au prix de la vérité la plus terrible qui soit. Une résilience de l’individu face à des agissements dont il n’est pas responsable, et qui ne peut se faire que conjointement, dans cette sphère que l’on appelle famille.
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