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Aurélie Jeannin, Au point du jour (ed. De l’Olivier)

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Au point du jour est le troisième roman d’Aurélie Jeannin. De l’univers de Préférer l’hiver et Les Bordes (publiés chez HarperCollins), on retrouve le goût des sous-bois et de l’humus, le réconfort des frondaisons et la sourde menace des étangs. Mais si les deux premières œuvres prenaient le noyau familial et notamment la relation mère-enfants pour écheveau narratif, c’est d’un point de vue plus horizontal que se place ici la romancière. C’est justement un désir d’éclatement familial qui préside au départ de l’héroïne, Florence, jeune femme trop à l’étroit dans sa vie d’épouse. Son nouvel horizon, elle le trouve dans une forêt où se perpétue la tradition de la chasse à courre, et plus précisément dans les yeux de Daguet, veneur chargé de la meute, homme secret et taciturne. Le début du livre est l’histoire du courage nécessaire aux renoncements. Puis intervient la phase de l’observation : comme deux animaux, Flo et Daguet se toisent, s’évaluent sans jamais trop se rapprocher,

On ne badine pas avec, Jules Vipaldo (ed. Tinbad)

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« Ce texte a connu plusieurs formes et états, et fait l’objet de nombreux re-travail et de plusieurs refontes avant d’aboutir au livre d’aujourd’hui. Tout d’abord, geste inaugural, il y eut une exposition dans le hall d’une mairie sudiste, il y a tout juste 25 ans (décrochée à la hâte, et sans ménagement, par la police municipale, avant la visite inopinée d’un « ministre de la Ville »). Puis, une représentation du texte sur scène, dans une autre ville du sud, dix-huit ans plus tard, lors d’une performance réalisée par le trio En Roue libre. » (D Fiction) Les origines de On ne badine pas avec se perdent donc dans une nébuleuse et sans doute est-il vain, voire néfaste en ce que toute tentative archéologique enlève bien du charme à l’œuvre excavée, de tenter cette plongée rétrospective vers la matrice. Le désir m’en prend pourtant, plus d’ailleurs par nécessité de replonger vers une époque où tout me paraissait graphiquement possible, même les approches les plus faussement kitch, que p

Roman : Les Nuits de la peste, Orhan Pamuk (Folio)

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La peste fait des ravages sur l’île de Mingher en 1901. Dans ce contexte mortifère, la princesse Pakizê est confrontée à un cuisant dilemme  : renoncer à son mari le docteur Nuri pour le sauver en épousant le cheikh Hamdullah, tyran de Mingher ou le condamner en refusant la compromission avec le cheikh octogénaire. Digne de Salammbo et Shéhérazade, la fascinante Pakizê, fille de l’ancien sultan ottoman et calife se révèle aussi une fine enquêteuse. Il est difficile en effet, entre le fléau qui fait cinquante morts par jour, les tensions entre musulmans et orthodoxes, de démêler l’écheveau narratif. D’un côté le parti-pris scientifique incarné par le docteur Nuri, envoyé par Istambul pour endiguer la Peste en organisant la quarantaine, et de l’autre le cheikh Hamdullah et les Musulmans qui accusent l’état turc de trahison. La peste devient elle-même objet de méfiance puisqu’on accuse des espions à la botte des orthodoxes de favoriser l’épidémie en lâchant des rats contaminés dans les

Bande-dessinée : Les Indomptés, par Blutch (Lucky Comics)

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On est toujours un peu gêné, après la disparition de leurs créateurs, quand paraissent de nouvelles aventures des monstres de Bd franco-belge. S’il fait régulièrement hurler les partisans de l’œuvre définitivement close (et Hergé a certainement bien fait d’interdire toute suite à Tintin), le procédé semble en tout cas lucratif. Après le dernier Astérix et avant le prochain Gaston, vient de paraître un nouveau prolongement de la saga Lucky Luke. Cette fois, c’est Blutch qui s’y colle. Dans Les Indomptés, on retrouve un Lucky Luke baby-sitter malgré lui. Deux mioches, Rose et Casper, deux pestes dignes de Billy the Kid et d’Abdallah, vont faire tourner notre cow-boy solitaire en bourrique. La ficelle comique est connue : un héros capable de vaincre les pires des malfrats complètement débordé par des enfants, ces « pervers polymorphes » qui s’avèrent effectivement indomptables. Parents disparus, grand frère mis en prison par Lucky Luke lui-même, notre héros se sent dès lors respon

Roman : Katrina Kalda, La Mélancolie du monde sauvage (Gallimard)

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Que reste-t-il quand tout s’effondre autour de soi ? L’Art, bien sûr. Tel est le constat dressé, très tôt dans sa vie, par Sabrina. Livrée à elle-même dans un milieu hostile et affligée d’une mère défaillante, elle découvre le pouvoir résiliant de l’Art lors d’une sortie scolaire au musée Rodin. Dès lors, elle voue sa vie à ce qui peut la sublimer au quotidien et devient plasticienne. Le parcours est semé d’embûches, entre propriétaire trop conciliant pour être honnête et découragements légitimes face à des démarches artistiques dénuées de sens. Ni la rencontre avec le fantasque Vassil, ni l’amour pour la petite Gaïa ne pourront pleinement satisfaire la quête de Sabrina. Reste alors l’ultime option : partir pour le « monde sauvage », fuir le monde social où tout s’écroule. D’un point de départ minutieusement réaliste, le roman s’ouvre peu à peu vers la dystopie. L’effondrement climatique, social et politique est avéré, mais il convient d’espérer : « Beaucoup de nos raisons étaient illu

Marseille, Roger Duchêne, Jean Contrucci (Fayard)

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«La ville sans nom » a été , pendant une courte période, le nom paradoxal donné à Marseille après la Révolution. Voilà une des innombrables révélations de ce puits d’informations élaboré par les deux érudits Duchêne et Contrucci, le premièr traitant de l’Histoire ancienne de la ville et le second de l’époque moderne. Pour autant, l’imposant volume se lit comme un roman, fluide et addictif en ce que la ville propose de rebondissements entre gloire éphémère et périodes tragiques. La nuance et la rigueur historique sont toujours de mise. Chiffres à l’appui, les auteurs reviennent souvent sur les lieux communs qui ont fait la fausse réputation de Marseille. Cette « ville antique sans monument », essentiellement dévouée au lucre et au commerce, préférant toujours sacrifier les plus pauvres pour l’appât du gain de quelques nantis, parfois gouvernée par des voyous, s’avère par périodes une cité policée, artiste et soucieuse du bien-être de tous. Souvent au bord du déclin, la ville a toujou

Poésie : Pauvre Baudelaire, par Jules Vipaldo

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Jules Vipaldo et Charles Baudelaire ont au moins cela en commun : ils n’aiment pas la Belgique. Publié en 2015 et récemment réédité pour cause d’épuisement (Vipaldo n’a de cesse d’épuiser la langue) Pauvre Baudelaire est un pendant compatissant au Pauvre Belgique ! (Amœnitates Belgicæ) de Baudelaire. Né d’une frustration (une lecture publique écourtée à Bruxelles dans le cadre d’une rencontre autour de la poésie contemporaine), ce livre drôlatique s’inscrit pleinement dans la veine vipaldienne avec tout ce qu’elle contient de potentialité subversive et inséminatrice. Toute œuvre émane d’un trauma : « N’y a-t-il pas moyen de faire plus court ? ». La phrase est lancée par un auditeur pendant la lecture , et tout bascule. De cette instance à l’autocensure Vipaldo va puiser le motif de son ouvrage, partagé entre colère et mauvaise foi. Et puisqu’il faut se saborder, autant entraîner dans son naufrage toute la Poésie. Débute alors le pilonnage, massacre incessant

Une interview du prix Goncourt par Natalia Kholodovitch

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Le dernier prix Goncourt Jean-Baptiste Andrea pour le roman "Veiller sur elle" répond à une interview menée par Natalia Kholodovitch pour le Cannet Web TV .

Récit : Roland Dorgelès, Les Croix de bois, 1919

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Peu d’œuvres procurent ainsi l’impression d’un souffle puissant et brûlant. Il n’y a pas précisément d’histoire parce que c’est l’Histoire qui écrit celle-ci, que l’on croit si bien connaître. Après la lecture du Feu de Barbusse et d’À l’Ouest rien de nouveau de Remarque je pouvais légitimement penser être avoir fait le tour de la littérature de guerre, la Grande, celle qui m’importe plus que les autres parce qu’elle a touché de près mes ascendants et qu’une visite émue de Verdun en 2017 (précisément 100 ans après que mon grand-père y a combattu) m’a donné envie de renouer avec nos poilus. Je n’avais de Dorgelès que l’image potache d’un jeune homme faisant les quatre-cents coups à Montmartre avec Max Jacob et Apollinaire. Ici, le subtil positionnement du narrateur, dont on ignore l’identité – sans doute Dorgelès lui-même – donne au récit toute son authenticité : un témoignage direct et empathique du soldat relatant l’horreur répétée des assauts dans une langue souvent poétique mais qu

Poésie : Olivier DOMERG, La Reverdie (éditions Atelier Rue du Soleil)

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Olivier Domerg s’attache encore et toujours à écrire le paysage. La Reverdie n’échappe pas à la règle. Mais à la scrupuleuse analyse de l’espace se joint cette fois celle d’une saison précise : ce moment de grâce éphémère situé entre la fin de l’été et le début d’automne où, dans un dernier sursaut de vitalité, la nature retrouve des couleurs, le vert plus précisément. C’est cette « reverdie », moment fragile et transitoire, que s’attache à décrire le poète. « La campagne reverdit (…). Un peu d’eau, du soleil, suffisent à ce que reparte la flore que l’été maltraita » (p.13). Dans une approche synesthésique, le poète fait l’inventaire de la nature régénérée : pissenlits, léontodons, fenouillères, plantes consonantes d’un sud (où vit Olivier Domerg) malmené par l’été finissant. À la vue (« Voir traverse le poème ») s’ajoutent les sensations auditives permanentes (« Le vent, forcissant, submerge la bande son ») ou les multiples impressions tactiles (« Mollesse sous le pied, sensation de