Création video/performance, Mélanie Joseph, Manon Cappato (CRAC de Sète)
Le Centre d’Art Contemporain de Sète propose un ensemble d’expositions liées à la problématique du handicap et de la perception des valides face aux déficiences physiques. L’Art étant en soi un lieu de réception, il semble donc naturel qu’un musée donne à voir et à entendre des propositions plastiques autour de cette thématique pourtant trop absente des cimaises. On connaît l’intérêt notamment des Surréalistes pour des œuvres de déficients mentaux, mais cette mise en avant reposait surtout sur le caractère aculturel de ces artistes qui s’ignoraient. Ce que propose le Crac sous le titre de "En dehors" prend une tout autre dimension : ici, les artistes (eux-mêmes handicapés ou pas) vont interpeller notre rapport à l’Art en nous plaçant de l’autre côté du miroir. Un miroir ébréché et coupant : on ne ressort pas indemne de cette exposition qui interroge en profondeur notre rapport à l’altérité.
Parmi les exposants, Mélanie Joseph propose une suite de vidéos montrant des sourds-muets en train de communiquer par signes. Sur trois pans de murs, les personnes échangent et laissent filtrer leurs émotions. Dans un premier temps, le spectateur non initié à la LSF (Langue des Signes Française) se sent exclu de ces discussions que l’on devine passionnées, faute de sous-titrage. La performance de Manon Cappato vient éclairer le processus : par intermittences elle vient « traduire » oralement les signes échangés par les protagonistes dans les vidéos. Un malaise s’installe rapidement. La réverbération du son rend les phrases de Manon Cappato difficilement audibles. L’écho favorise le mixage des mots, qui se chevauchent et rendent très aléatoire l’intelligibilité de l’ensemble. La frustration s’installe alors et on se demande légitimement si on est le seul à éprouver cette impression de malaise. Manon Cappato poursuit sa traduction, allant d’un écran à l’autre. On capte un mot par ci, un bout de phrase par là, et au moment où l’on décide de renoncer et de se laisser aller à vivre la performance, on perçoit l’intelligence du processus. Cette logorrhée qui se veut informative, c’est exactement ce qu’un sourd peut percevoir d’un discours ordinaire, avec les corollaires que nous venons d’éprouver : incompréhension, frustration voire colère et, pour finir, renoncement. Avec l’entremise de Manon Cappato, Mélanie Joseph a inversé le rapport habituel : ce n’est plus le malentendant qui va vers l’entendant mais le sourd qui impose sa perception abîmée du monde. C’est une prise de conscience d’autant plus percutante qu’elle se fait par le truchement de l’Art. « Le fait de ne pas avoir d’espace de parole, c’est une violence », dit Mélanie Joseph.
Une expérience immersive et sans concession à découvrir jusqu’au 5 janvier.
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