Roman : Miracle à la combe aux Aspics, Ante Tomić

 

Il est des romans sans limites. Aux antipodes des règles édictées par le Nouveau roman (qui étaient en définitive davantage un rejet global du roman psychologique traditionnel), on comprend vite que le récit d’Ante Tomić (A. Tomic, quand même!) a pris le parti de n’en prendre aucun et se jette à tout-va dans une suite de péripéties aussi étonnantes que réjouissantes.

La famille Aspic vit dans un village reculé au pied d’une montagne depuis des générations. Le père, Jozo, est un fou furieux, catholique intégriste et militariste. Le récit de la mort de la mère donne le ton : « Zora se tut jusqu’à son dernier soupir, où elle jeta un tendre et ultime regard à son époux et murmura : -Tu es une merde ! ». Resté seul avec sec ses trois fils, Jozo dispose d’un arsenal impressionnant. Que les agents de la compagnie d’électricité ne s’avisent pas à venir réclamer ce qu’on leur doit. Mal inspirés, c’est ce que font pourtant deux d’entre eux, que la famille va séquestrer.

Mais Kresĭmir, le fils aîné, s’ennuie et descend en ville se chercher une femme. Il y a longtemps, avant de partir à la guerre, il avait eu une aventure avec Lovorka. C’est elle qu’il va tenter de retrouver quinze ans après dans les méandres de la capitale Croate. Quand, après moult rebondissements, il la retrouve enfin, c’est pour apprendre que Lovorka va épouser le pire flic du pays. Dès lors, aidé d’anciens compagnons d’armée, Kresĭmir n’a qu’un projet : enlever sa belle en pleine cérémonie le jour même de son mariage.

La famille est au cœur du récit. Une famille disjonctée, à la fois attachante et improbable en ce que les décisions qui la régissent sont elles-mêmes absurdes. C’est un Macondo version croate, centrée sur la cellule des Aspic. C’est du Boris Vian, la touche de poésie et la profondeur en moins. Mais la liberté est là. Aucune leçon à tirer de ce récit (si ce n’est que des familles déjantées peuvent être drôles) car le but est plus de distraire que d’édifier. Le livre se lit en effet avec un plaisir immense et fait taire les partisans d’un roman forcément à messages. Fluidité, enchaînement des péripéties où l’on sent la jubilation de l’auteur transparaître, comme est palpable la manière improvisée du livre, Miracle à la combe aux Aspics est un ouvrage réconciliateur pour qui est en train de perdre le combat du livre contre les écrans. Voilà un second « miracle », ce qui n’est pas si mal pour un seul roman.


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