Essai : Je suis une fille sans histoire, Alice Zeniter (l'Arche)
Ce livre est une arnaque. Une brillante arnaque, mais une arnaque. L’autrice se propose d’expliquer comment les récits littéraires se sont constitués sans les femmes (d’où le titre). Mais rapidement, le livre tourne à une leçon de narratologie, où après nous avoir expliqué pourquoi le lecteur éprouve de l'empathie pour Anna Karénine, on nous expose le rôle de la métalepse, cette césure du pacte fictionnel, du triangle sémiotique (signifiant/signifié et référent), du schéma narratif ou actanciel, bref une leçon de fac de Lettres héritée des recherches structuralistes (Barthes, Genette, Eco et compagnie). On se demande donc où sont les femmes promises ? Évaporées en cours de route au bénéfice de la leçon de narratologie. Donc une fille sans histoire et, tout d’un coup, une histoire sans filles. On apprécie néanmoins le sens didactique et l’humour d’Alice Zeniter qui sait s’impliquer dans ses démonstrations : souvent drôles, les explications sont aussi pertinentes et donnent une idée assez claire de la mécanique diégétique en question. Notons que "Je suis une fille sans histoire" a été écrit pour le théâtre, un format "seule en scène", ce qui justifie sa forme (trop) brève pour qui voudrait approfondir l'inépuisable sujet de la femme dans la littérature.
Que la littérature ait été inventée par les hommes, et donc orientée vers une vision quasi exclusivement masculine et patriarcale du monde, personne ne le nie. Héroïnes reléguées au second plan dans un rôle hystérique ou piedestalisées en prêtresses intouchables, les femmes échappent à la réalité des siècles. La fin du livre d’Alice Zeniter renoue enfin avec son propos initial, mais par une conclusion énumérative de femmes écrivaines du monde entier précédées d’un simple « parce que » sans autre forme de justification. « Parce que Tomi Morisson ». Point. On ne doute pas du génie de ces artistes, et au final peu importe qu’elles soient des femmes et c’est là un paramètre qui échappe trop souvent aux discours des rageuses : on aime leurs livres pour leurs qualités intrinsèques, leur point de vue particulier, et non simplement parce qu’ils ont été écrits par des femmes.
De plus en plus le dialogue se ferme, et Alice Zeniter nous le rappelle avec une certaine jubilation et insistance, en reprenant par deux fois l’incitation de l’autrice américaine Lucy Ellmann : « Essentially, I think it’s time for men to shut up ! » (pages 92 et 93). Et au cas où l’engeance masculine n’aurait pas compris la double injonction, l’autrice nous la traduit : « Il est temps que les hommes ferment leur gueule ». Alice se frotte les mains, le message est passé, j’obtempère et me tais.
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