Essai : Eddy Merckx , Jean Cléder (Mareuil éditions, 2019)
On pourrait trouver ce nouveau livre sur le champion cycliste belge superfétatoire dans la masse des hagiographies relatant les exploits de celui qui reste considéré comme le plus grand champion de tous les temps (on fera le bilan de Pogačar à la fin de sa carrière). Le sous-titre nous met cependant sur la voie : « analyse d’une légende ». C’est en effet à travers le prisme sociologique et iconographique que l’auteur va notamment étudier le parcours du « Cannibale ». Cinq Tours de France, autant de Tours d’Italie, sept Milan-San Remo, trois Championnats du monde cinq Liège-Bastogne-Liège, à vrai dire on va plus vite à énoncer ce qu’il n’a pas gagné que l’inverse…
Jean Cléder revient sur les premiers coups de pédale d’Eddy dans le peloton professionnel pour le suivre dans son fulgurant épanouissement jusqu’à la maturité et le fléchissement final, en 1978. Tout est analysé de près : le maniaque de la position à vélo, les concurrents (de l’intronisation difficile de son premier leader à l’avènement du jeune Hinault en passant par Roger DeVlaeminck ou Poulidor), la manière de courir en tête de course pour mieux la contrôler, jusqu’aux lettres composant le patronyme du champion poétiquement envisagées comme prédestinées à la gloire. C’est aussi dans les déboires d’une carrière que se reconnaît le champion (déclassement du Giro en 1969 en faveur d’un Italien, Gimondi ou chute tragique en septembre 69 qui, selon ses dires, lui ôtera une partie de son efficacité en montagne).
L'ouvrage est accompagné d’une abondante et intelligente documentation. Outre les classements du Super-Prestige ou les photos-clés d’une carrière, on apprécie particulièrement les géniales caricatures de Pellos publiées autrefois dans Miroir du Cyclisme. L’auteur interroge aussi les images télévisées de l’époque. Les images et surtout l’absence d’images, de ces déprimantes « ruptures de faisceaux » pendant lesquelles, bien sûr, la course se joue, comme lors du Tour 75, descente du col d’Allos où Merckx se jette tambour battant, pour le retrouver défaillant dans la montée de Pra-Loup, qui marquera sa première défaite cuisante face à Bernard Thévenet.
À lire Cléder, on comprend mieux le champion, et uniquement le champion : c’est exactement ce que reprocheront les adeptes des biographies essentiellement basées sur l’analyse de l’intimité. Rien de tel ici, la méthode est purement scientifique et documentée. Pas de place pour les états d’âme de l’homme : champion, c’est un métier, au grand dam de ceux qui on tenté de s’opposer à la marche en avant du Cannibale. Eddy Merckx a, en définitive, inventé le cyclisme moderne. En s’entourant d’une équipe forte et en ne laissant rien à ses adversaires (il y a eu depuis les Banesto et les UAE), il ne laisse rien au hasard, conformément au bon mot de Blondin : « En donnant tout, Merckx ne laisse rien aux autres ».
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