Dictionnaire : Éric Fottorino, Dictionnaire amoureux du vélo (Plon)

 

C’est d’un œil connaisseur et passionné qu’Éric Fottorino concocte son Dictionnaire amoureux du « vélo », et non du cyclisme : toute la nuance affective est là, dans cet amour du vélo et non seulement de la compétition cycliste. Car Fottorino n’est pas uniquement croyant, il est pratiquant, depuis très longtemps, et sa culture cycliste, forgée dans les glorieuses années soixante-dix, raviront les nostalgiques des arrache-clous, des freins Mafac à tirage central, des tubes Reynolds, des dérailleurs Simplex et de la colle Pastali. Voilà un livre d’où émane l’authentique parfum de l’embrocation, le chuintement des boyaux et le goût du XL1, cette poudre de perlimpinpin saturée en sucre qui donnait l’illusion de pédaler un peu plus vite.

Les entrées proposent l’incontournable lexique du vélo, l’objectivation d’un sport avec ses heures de gloire et ses héros, tant sur le terrain qu’en périphérie. Outre les champions, Fottorino n’oublie pas les journalistes géniaux (Blondin, Londres, Nucéra, Fallet…), chantres sans qui il n’est de mythification possible.

Mais c’est dans l’intimité, de « Alpes » à « Zaaf » (cet improbable coureur qui prit l’étape à contre sens) qu’ Éric Fottorino devient plus intéressant encore. On le sait, le journaliste et romancier se complaît dans son œuvre à explorer la veine autobiographique. On retrouve dans l’amoureux dictionnaire cette part de l’intime qui vient éclairer les lieux et les hommes d’un faisceau plus humain et plus personnel. L’article sur Laurent Fignon, où pointe une authentique émotion, est exemplaire de cette démarche mêlant le récit objectif d’une trajectoire et le rapport personnel au champion disparu. Le « je », qui devient témoin intime, vient cautionner l’exploit à hauteur d’homme en ce qu’il l’extirpe de la doxa journalistique. Fignon, c’est l’accomplissement d’un rêve échoué de Fottorino (les deux hommes ont le même âge).

Mais au-delà du cyclisme moderne, c’est l’histoire dans son ensemble qui est balayée, de Lapébie, Bobet à Coppi ou Poulidor en passant par Jean Robic, (dit Biquet). La forme choisie est aussi variée que les caractères des champions cités. On alterne la prose journalistique et une forme poétique (voir l’article sur Coppi notamment), qui confère un caractère étonnamment épique, voire élégiaque à ce dictionnaire comme si Char ou Apollinaire s’étaient mis à écrire vélo. On y trouve aussi des interviews, comme celle de Thibault Pinot, préalablement publiée dans un numéro du 1, revue que dirige Fottorino.

On apprécie pour leur qualité graphique les illustrations d’Alain Bouldouyre, mais qui ne nous empêchent pas de regretter que Pellos, le génial dessinateur de Miroir du Cyclisme des années 70, n’ait pas plus de place dans ce dictionnaire amoureux. Mais c’est sans doute le principe même d’un dictionnaire que faire des choix. Éric Fottorino crée en définitive un lien parfait entre la substance même d’une course cycliste et celle du langage. On y retrouve les ingrédients fondamentaux d’un bon article et d’une épreuve cycliste : « le ton juste, le bon rythme, l’image, la couleur, la musique, l’émotion, la grâce » (Avant-propos).


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