Poésie : Olivier DOMERG, La Reverdie (éditions Atelier Rue du Soleil)

Olivier Domerg s’attache encore et toujours à écrire le paysage. La Reverdie n’échappe pas à la règle. Mais à la scrupuleuse analyse de l’espace se joint cette fois celle d’une saison précise : ce moment de grâce éphémère situé entre la fin de l’été et le début d’automne où, dans un dernier sursaut de vitalité, la nature retrouve des couleurs, le vert plus précisément. C’est cette « reverdie », moment fragile et transitoire, que s’attache à décrire le poète. « La campagne reverdit (…). Un peu d’eau, du soleil, suffisent à ce que reparte la flore que l’été maltraita » (p.13). Dans une approche synesthésique, le poète fait l’inventaire de la nature régénérée : pissenlits, léontodons, fenouillères, plantes consonantes d’un sud (où vit Olivier Domerg) malmené par l’été finissant. À la vue (« Voir traverse le poème ») s’ajoutent les sensations auditives permanentes (« Le vent, forcissant, submerge la bande son ») ou les multiples impressions tactiles (« Mollesse sous le pied, sensation de souplesse qui subsiste lorsqu’on marche sur ces vestiges d’herbe »). C’est sans doute ce qui nous paraît constituer la nouveauté de l’œuvre, cette frange temporelle ténue, le choix de l’arrière-saison qu’on nomme parfois « été indien » et qui ôte à la prose descriptive l’impression de permanence qui émanait des ouvrages antérieurs de Domerg. Car cette nature changeante à la Théophile de Viau n’est pas seulement soumise aux saisons. Comme on le voyait déjà dans la Verte traVersée, ouvrage précédent d’Olivier Domerg, l’homme demeure le principal danger, « décimant un peu plus encore sans même replanter, cette très belle très ancienne et sentimentale allée »(p. 63). Le poète regrette amèrement « l’horrible travail de l’homme ; son empreinte autant péremptoire que maladroite, à travers l’abattage de deux nouveaux tilleuls » et la « laideur de toute déprédation » (p.61). L’écriture du poème est elle-même remise en cause. Quand l’objet se dérobe c’est le récit même de l’objet qui disparaît. Sans paysage, plus de poème. Mais Domerg est bien plus qu’un scrupuleux botaniste mâtiné d’écologie. Comme toujours, l’approche du paysage se construit parallèlement à l’histoire d’une écriture. La méthode s’explicite au fil des pages, et c’est précisément ce qui rend le rapport à l’espace plus humain. Les hésitations, les parti-pris ou les repentirs s’affichent. « Toute sensation requise, je me poste à mi-distance entre la langue et les choses » (p.46). « Je vais et je viens dans le champ du visible qui est aussi celui de la prose » (p. 45). Ainsi écriture et observation du paysage sont-elles indissociables d’un état physique et spirituel. Il faut goûter à la « vacance », l’esprit libre de toute conjecture, dans une mouvance toute Lucrècienne pour goûter à la « beauté du banal ». « Le beau qu’on a sous le nez et qu’on oublie. Le beau souvent banni. Le beau là où justement on l’abat, le dénie, le détruit » (p. 41). Dans ce contexte, même les moustiques deviennent verbe. Leur « zézaiement nasillard » capable d’extraire le poète de sa nécessaire concentration est prétexte à les entomologiser dans le corps du poème en en prélevant « le dard sibyllin mais syllabique/de l’alexandrin moribond » (p.57). Toute méthode exige une discipline. Domerg prône la « répétition ». Face au paysage, il s’agit de revenir en permanence, sans cesse revoir le poème, le déconstruire pour mieux le recomposer, éradiquer les clichés, se défaire des influences et demeurer dans sa langue propre. « La répétition est l’expression de notre détermination » (p.43). Advient alors l’assimilation entre l’espace et la création comme cette rencontre heureuse entre l’impression de propreté laissée par un champ fraîchement fauché et une phrase ciselée : « Il y a un plaisir de la coupe comme il y a un plaisir de la mise au propre » (p.34). Rien de triomphant pour autant dans l’exposition de la méthode. Au contraire, l’humilité est de mise car l’échec -ou plus simplement la menace d’une vanité de la démarche- est envisagé. « Nous, bouseux et laborieux poètes (…) avons beau cent fois y revenir, remettre l’ouvrage sur le papier, n’en rendons que piètre décalque et que pâle copie ; chimère ou spectre paysager » (p.49). C’est alors la fin de l’arrière-saison avec l’imminence de l’automne. La reverdie n’est plus et avec elle se clôture l’écriture du poème, laissant un « silence de silice, la morte saison et le grand calme des derniers écrits ». Jean-Marc Pontier/ Olivier Domerg, La Reverdie, Atelier rue du soleil, 2023, 90 p., 14 €

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