Roman : Katrina Kalda, La Mélancolie du monde sauvage (Gallimard)

Que reste-t-il quand tout s’effondre autour de soi ? L’Art, bien sûr. Tel est le constat dressé, très tôt dans sa vie, par Sabrina. Livrée à elle-même dans un milieu hostile et affligée d’une mère défaillante, elle découvre le pouvoir résiliant de l’Art lors d’une sortie scolaire au musée Rodin. Dès lors, elle voue sa vie à ce qui peut la sublimer au quotidien et devient plasticienne. Le parcours est semé d’embûches, entre propriétaire trop conciliant pour être honnête et découragements légitimes face à des démarches artistiques dénuées de sens. Ni la rencontre avec le fantasque Vassil, ni l’amour pour la petite Gaïa ne pourront pleinement satisfaire la quête de Sabrina. Reste alors l’ultime option : partir pour le « monde sauvage », fuir le monde social où tout s’écroule. D’un point de départ minutieusement réaliste, le roman s’ouvre peu à peu vers la dystopie. L’effondrement climatique, social et politique est avéré, mais il convient d’espérer : « Beaucoup de nos raisons étaient illusoires, pourtant nous persévérions, en quête d’un improbable eldorado » (p.255). On pourra s’interroger sur l’option adoptée par Sabrina : la fuite et le renoncement à toute vie sociale est-elle la solution ? Sans doute lui a t-il manqué un peu de légèreté pour réussir pleinement à s’épanouir dans sa vie de mère adoptive et d’artiste. Elle est la première à le reconnaître : « J’avais oublié de m’amuser. Je croyais que l’insouciance allait de pair avec l’absence de profondeur » (p.253). D’où ce style fluide mais sans fantaisie de la narratrice. Les faits sont décrits au plus proche de son âme sensible, parfois avec poésie notamment dans les dernières pages. Si ce livre solidement écrit plaira à ceux qui se cherchent, à ceux qui aiment l’art contemporain, il laissera sur leur faim ceux qui pensaient trouver à travers le titre l’exotisme du « sauvage ». L’escapade finale a lieu dans les montagnes du côté de Digne et les autochtones qu’on y croise n’ont rien de véritablement dépaysants. C’est donc davantage sur la notion de « mélancolie » qu’il convient de s’attarder. Le ton général du volume est en effet empreint de nostalgie, quand bien même le passé de l’héroïne n’a rien d’enviable. Une certaine lenteur et précision dans l’analyse des sentiments et un rapport au monde sans cesse déceptif, proche de la dépression. Alors oui, quand on a tout essayé, la fuite vers le sauvage s’impose comme la dernière option pour soi-même se retrouver. Peut-être en définitive pour réaliser que l’Art n’est pas « la chose la plus importante ». Parce qu’au final les magnifiques descriptions de Mère-nature prennent le pas sur les intentions artistiques du personnage. Un livre fluide et addictif en ce qu’opère la magie des péripéties : on suit fébrilement les vicissitudes de Sabrina même si ses décisions sont parfois déroutantes. Mais c’est aussi ce qui nous plaît en toute lecture, l’improbable et variable caprice de la narration. /© jean-marc pontier

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