On ne badine pas avec, Jules Vipaldo (ed. Tinbad)

« Ce texte a connu plusieurs formes et états, et fait l’objet de nombreux re-travail et de plusieurs refontes avant d’aboutir au livre d’aujourd’hui. Tout d’abord, geste inaugural, il y eut une exposition dans le hall d’une mairie sudiste, il y a tout juste 25 ans (décrochée à la hâte, et sans ménagement, par la police municipale, avant la visite inopinée d’un « ministre de la Ville »). Puis, une représentation du texte sur scène, dans une autre ville du sud, dix-huit ans plus tard, lors d’une performance réalisée par le trio En Roue libre. » (D Fiction) Les origines de On ne badine pas avec se perdent donc dans une nébuleuse et sans doute est-il vain, voire néfaste en ce que toute tentative archéologique enlève bien du charme à l’œuvre excavée, de tenter cette plongée rétrospective vers la matrice. Le désir m’en prend pourtant, plus d’ailleurs par nécessité de replonger vers une époque où tout me paraissait graphiquement possible, même les approches les plus faussement kitch, que pour cheminer à rebours vers les racines d’un livre qui se défend très bien tout seul. Il y eut une première version, totalement inspirée par la seule qui aujourd’hui en possède un jeu (mal) photocopié. Ça s’intitulait Cyan des anges. Je ne vais pas ici détailler la nature du sentiment qui m’a inspiré ces pages qui parlaient en vrac de Salammbo, de l’ange Gabriel, de vitraux, d’enluminures et d’autres choses. Pas seulement la somme d’une visite à la Sainte chapelle, la lecture de Flaubert, ou la découverte de la calligraphie gothique et du musée Gustave Moreau. C’était surtout un dialogue avec un être absent, la vaine tentative de fixer par un coup de folie graphique notre sublime histoire. Je ne dirai rien de la fièvre qui fut à l’origine de ces planches : je n’étais inspiré que parce qu’Elle était inspirante. J’y passais plusieurs nuit, et au matin je devais partir travailler, les yeux encore scintillants d’enluminures et les doigts de gouache dorée. Mais Elle n’était pas là. Pour toujours, Elle n’était pas là. Comme j’étais énervé, j’ai découpé tous les textes au cutter, de belles calligraphies en lettres gothiques que je jetais à la poubelle, comme pour me venger d’un destin inapte à me rapprocher de celle qui les avait inspirées. Je les remplaçais dans un premier temps par des sortes de proverbes ineptes inspirés par les axiomes poétiques du Cornet à dès de Max Jacob. Seconde version. Le résultat ne me plut qu’un (court) temps. Je détruisis encore ce nouveau texte. Je le regrette aujourd’hui parce qu’avec le recul, je pense que ces courtes sentences plus ou moins surréalistes avaient quelque valeur littéraire (ce n’est qu’après les avoir détruites que je juge a posteriori que mes œuvres possèdent quelque intérêt. Attitude un peu lâche car elles ne sont plus là pour attester de leur potentielle médiocrité). Un jour, au marché aux puces d’Orléans, je tombais par hasard sur un vieux manuel scolaire aux pages jaunies : la seconde année d’arithmétique. J’aimais bien alors cette alternance d’énoncés, de schémas et de tableaux qui me parurent toujours d’autant plus fascinants qu’ils étaient énigmatiques. L’idée alors me traversa d’associer ces pages, qui évoquaient pour moi ce qui peut se faire de plus froid en termes d’émotion littéraire et esthétique, à mes propres planches qui émanaient du plus bouillonnant des sentiments. Troisième version. Ça fonctionnait plutôt bien, ce mariage entre le versant dessiné qui me brûlait encore les mains et la prose arithmétique à la glaçante tempérance. Mais outre le fait que cet improbable précipité se retrouvait amputé de nombreuses pages (l’écriture gothique courait auparavant au-delà des illustrations), il manquait bien évidemment une troisième couche textuelle qui unirait les deux premières. Seul un homme de la trempe de Jules Vipaldo était capable d’accomplir telle soudure. C’est ainsi que naquit On ne badine pas avec, qui réussit le tour de force de donner unité à deux métaux incompatibles en en proposant un troisième. « Il y avait déjà, en germe, l’idée que ce livre était une partition et qu’il pouvait être déployé, différemment, selon les espaces de monstration ou de publication proposés. Qu’on pouvait donc le jouer (l’interpréter) et en jouer (le détourner), selon les cas et les usages, plastiquement, oralement ou poétiquement ». Quatrième version, et pas forcément l’ultime.

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