Aurélie Jeannin, Au point du jour (ed. De l’Olivier)

Au point du jour est le troisième roman d’Aurélie Jeannin. De l’univers de Préférer l’hiver et Les Bordes (publiés chez HarperCollins), on retrouve le goût des sous-bois et de l’humus, le réconfort des frondaisons et la sourde menace des étangs. Mais si les deux premières œuvres prenaient le noyau familial et notamment la relation mère-enfants pour écheveau narratif, c’est d’un point de vue plus horizontal que se place ici la romancière. C’est justement un désir d’éclatement familial qui préside au départ de l’héroïne, Florence, jeune femme trop à l’étroit dans sa vie d’épouse. Son nouvel horizon, elle le trouve dans une forêt où se perpétue la tradition de la chasse à courre, et plus précisément dans les yeux de Daguet, veneur chargé de la meute, homme secret et taciturne. Le début du livre est l’histoire du courage nécessaire aux renoncements. Puis intervient la phase de l’observation : comme deux animaux, Flo et Daguet se toisent, s’évaluent sans jamais trop se rapprocher, faute de mots pour l’un et d’inclination à l’abandon pour l’autre. Puis tout s’accélère lors d’une chasse haletante où le cerf est aux abois. Mais l’animal n’est pas forcément celui que l’on croit. D’aucuns s’offusqueront d’un tel arrière-plan : les cerfs que Daguet achève au couteau, les petits chats qu’un chasseur cruel et décérébré se fait un plaisir de tuer, autant de scènes qui ne manqueront pas de heurter certaines sensibilités. Mais en habile romancière, Aurélie Jeannin refuse le choix d’un parti-pris. Pas de revendication visible, pas de jugement, on comprend vite que le roman n’est pas un prétexte à fustiger ni encenser la pratique ancestrale de la chasse. Tout est dans le paradoxe des sentiments éprouvés par Daguet, entre admiration pour l’animal traqué et nécessité de l’abattre, puisque telle est la fonction du jeune piqueux. L’essentiel se trouve ailleurs, dans ce subtil tissage entre les animaux et les personnages, dans cette tension des sentiments qui unissent et désunissent ceux qui ne savent pas parler. La vénerie est une langue. La romancière nous convie à cette incursion linguistique et poétique des chenils aux sous-bois, la langue rugueuse des chasseurs mêlée à celle, plus noble et atavique, de Diane, la rivale de Flo. Tout cela grouille de chiens aux noms improbables, qui n’ont pas de queue mais un « fouet », de même que dans une formule très hypocrite on ne « tue » pas le cerf mais on le « sert », tout cela au son du cor accompagné de chansons mélancoliques dignes d’un poème d’Apollinaire. Tel est l’univers dense et contrasté de Au point du jour. La cruauté est bien là, on n’y échappe pas, parce que les cœurs humains pulsent au même rythme que la nature. Tout se confond parfois dans une étrange harmonie : « Il ne savait pas bien comment être un homme parmi les hommes. Alors il deviendrait un chien (…). Il serait cet homme devenu chien. Et ce chien qui cherche à être cerf ». Reste la beauté sauvage d’une phrase ciselée, souvent étonnante en ce qu’elle recèle de poétique vérité.

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