Biographie : Christophe Bigot : Un autre m’attend ailleurs (La Martinière)

Qui le croirait en voyant les dernières photographies de Marguerite Yourcenar, flanquée d’un triste gilet et d’un grand foulard qui met plus encore en valeur son visage parcheminé ? La première académicienne a fréquenté sur la fin de sa vie le milieu interlope de la drogue et de l’homosexualité par l’entremise de sa dernière passion amoureuse : Jerry Wilson, jeune photographe de quarante-six ans son cadet. Jerry rencontre Marguerite à Petite Plaisance, ce coin reculé du Maine où la romancière vivait jusqu’ici avec sa traductrice Grace Frick. Mais Grace meurt d’un cancer et Jerry va la remplacer. Mieux : c’est pour Marguerite une renaissance et l’occasion de partir avec Jerry parcourir le monde. Si dans un premier temps l’attrait de la découverte rapproche les deux amants d’un couple si disparate, l’ambiguïté du personnage va vite s’imposer à Marguerite. Jerry Wilson est bipolaire, complexé et parfois violent. Il rencontre Daniel, un autre homosexuel toxicomane, qui va pousser Jerry à des extrémités, jusqu’à soutirer de l’argent à Marguerite. Christophe Bigot revient sur certaines anecdotes tragiques qui ont ponctué ces voyages mouvementés : un séjour en hôpital pour Marguerite après un accident de circulation et surtout, pour Jerry, le début de la descente aux enfers (Jerry a contracté le sida). Marguerite devient alors son dernier port d’attache en même temps que son souffre-douleur. A côté de la face obscure de cette relation, d’autres moments solaires vont ponctuer la relation à la fois toxique et lumineuse du couple, comme l’achat de cette plaque de malachite trouvée en Inde qui deviendra l’emblème tragique de la vie de Jerry. On sent en Christophe Bigot un biographe méticuleux qui a su tirer partie de ses nombreuses sources. On pourra s’interroger sur la viabilité de certaines dialogues forcément imaginés et donc altérant la crédibilité du propos, mais qui en définitive renforcent notre adhésion à l’intimité des personnages. Sans doute le livre aurait-il gagné en s’appuyant davantage sur l’œuvre littéraire de Yourcenar par de plus nombreuses citations. Si la dette à Rimbaud est plusieurs fois soulignée, plus de références à l’œuvre eût certainement renforcé la cohérence du propos tout en permettant au lecteur de mieux connaître l’univers de Yourcenar. Telle décision, tel point de vue sur telle situation vécue par la romancière auraient certainement crée plus liant entre la vie et l’œuvre de l’écrivaine. Reste un livre passionnant sur une période que les biographes de Yourcenar ont voulu occulter sans doute parce qu’elle ne cadre pas avec l’image politiquement correcte que l’on doit se faire d’une vielle dame académicienne. Voilà la chose réparée grâce à Christophe Bigot. (JM Pontier)

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

On ne badine pas avec, Jules Vipaldo (ed. Tinbad)

Mariotti croque l’avenir 

Roman : Identité, Martine Marck (ed.BoD, 2024)