Roman : Alice RIVAZ, La Paix des ruches (Zoé)

 

La couverture nous en dit long sur la teneur du roman : un couple assis sur un canapé, elle vêtue d’un pull rouge en aplat, jupe et talons aiguilles, main sur la nuque courbée, posture à la fois de soumission et d’isolement. Elle tourne le dos à son homme, lui confortablement assis, cigarette à la main. Si on ne voit pas leurs visages, c’est que ce couple incarne le destin commun à tous les couples selon Alice Rivaz. Le naufrage amoureux est universel.

Écrit à la fin des années trente, La paix des ruches est un ouvrage pleinement féministe qui va chercher les causes d’une révolte dans les failles du quotidien. La charge est violente : les hommes en prennent pour leur grade, séducteurs infaillibles dans les prémices amoureux puis, seigneurs impérieux et tyranniques dans la vie maritale. « C’est que nous étions des amoureuses, et qu’ils ont fait de nous des ménagères, des cuisinières… Voilà ce que nous avons peine à leur pardonner » (p. 80).

La narratrice (comme Alice Rivaz d’ailleurs) ne veut pas d’enfant, seul point sur lequel elle tombe d’accord avec son mari. L’humain est trop imparfait pour ajouter de l’imperfection à ce monde, dit-elle en substance. Et puis ces petits garçons deviendront des soldats, qui seront condamnés à mourir sur les champs de bataille (la narratrice fait plusieurs fois allusion à la guerre d’Espagne et ressent l’imminence d’une seconde guerre mondiale) : « Il n’y a pas longtemps des villes de Catalogne brûlaient comme des torches, et les aviateurs exécutaient leur travail de nuit comme des boulangers, des imprimeurs. Nous n’avions pas prévu le travail de nuit de l’aviateur, les bombes sur les petits lits d’enfants, sur les cuisinières à gaz, les rayons des livres (p. 102). Car au-delà du pamphlet féministe, ce livre est aussi un manifeste pour la paix. Cette paix impossible depuis des millénaires à cause des hommes, ces anciens petits garçons devenus belliqueux. « Ce que, en tant que mère, nous réprimons chez nos petits, nous l’admirons chez nos petits devenus des hommes. Le geste qui méritait le blâme, voire la fessée, il suffit que le petit garçon soit devenu adulte pour que les femmes lui donnent un autre nom. Ainsi les mots de « cruauté » ou de « violence » qui tout à coup signifient courage ou héroïsme » (p . 102).

La métaphore biologique de la ruche est à ce titre éclairante : les abeilles, au risque de voir s’éteindre leur espèce, ont exclu les mâles de l’organisation de la ruche. Cruel et radical mais indispensable à la survie de l’engeance. Les humains doivent-ils suivre cet exemple de société androcide ? Tout en subtilité et en véhémence, Alice Rivaz ne fait que le suggérer, mais c’est peut-être le prix à payer si l’on veut installer une paix durable, quoiqu’une des amies de la narratrice affirme que « les femmes sont pires que les hommes »…

Occultée par les réflexions philosophiques et sociales portant sur la condition féminine, la trame narrative passe au second plan. Le travail de dactylo dans un bureau, les amants rêvés ou réels, le désarroi tragique d’une amie trompée et déçue par l’amour, l’ennui chronique de la vie maritale de la narratrice, tout tend à souligner les effets mortifères du mariage.

Reste la rancune, venue du fond des âges. « Si j’étais un homme je me méfierais », écrit Alice Rivaz. Message reçu, à quatre-vingts ans de distance.


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